Actualités | 09 novembre 2018
Union européenne : préparer 2019
Union européenne :
préparer 2019, année politique
« Ma commission sera celle de la dernière chance » annonçait, avec emphase, Jean-Claude Juncker au Parlement européen le 24 octobre 2014, ajoutant : « à l’heure où les citoyens perdent la foi dans nos institutions, où les extrémistes de gauche et de droite nous mettent l’épée dans les reins et où nos concurrents prennent des libertés à notre endroit, il est temps de donner un souffle nouveau au projet européen ». Depuis, le Royaume-Uni a voté pour sortir de l’UE, la Pologne est sous procédure européenne de sanctions en raison de « risques de violation grave de l’Etat de droit », et Viktor Orbán en Hongrie, Matteo Salvini en Italie sont devenus les nouveaux hérauts des démocraties illibérales. De façon générale, les partis antisystèmes ont le vent en poupe en Europe, et dans les deux plus grands pays européens, en Allemagne et en France, l’extrême droite est devenue ou en passe de devenir la deuxième force politique.
C’est dans ce contexte très particulier que le Brexit et le renouvellement de l’ensemble des institutions européennes – Parlement européen, Commission européenne, Présidence du Conseil Européen et de la Banque Centrale européenne – s’organisent, laissant entrevoir un grand jeu politique.
Brexit : calendrier, frontière irlandaise et services financiers
Au soir du 29 mars 2019, le Royaume-Uni, sauf coup de théâtre, deviendra pour l’UE un état tiers. L’enjeu pour les négociateurs européens et britanniques est de trouver d’ici la fin 2018 un accord sur le retrait en lui-même tout en s’accordant sur les grands principes qui devraient définir leurs relations futures. Le temps presse car un compromis devra être adopté, avant la date butoir, par la Chambre des Communes au Royaume-Uni et par l’UE à la majorité qualifiée renforcée.
« Nous disons aux parties prenantes de ne pas travailler sur l’espoir mais sur les risques » expliquait Piers Haben, l’un des Directeurs de l’Autorité bancaire européenne en juillet dernier à l’occasion d’une table ronde sur le Brexit. Si le risque de « no deal » et de scénario du pire n’est pas à exclure, les deux partis s’entendraient sur « 85% de l’accord de retrait » selon Michel Barnier, le négociateur en chef de l’UE. En effet, les Britanniques ont accepté la méthodologie de calcul de leurs engagements pour une somme qui pourrait avoisiner les 45 milliards d’euros. L’ensemble des droits des résidents européens vivant au Royaume-Uni avant la date effective du Brexit sera préservé (et vice-versa). A également été approuvée l’idée d’une période de transition jusqu’au 31 décembre 2020, pendant laquelle les Britanniques conserveront l’accès au marché unique à condition qu’ils se soumettent à l’ensemble de l’acquis européen – normes, mécanismes de réglementation, de supervision, de budget, d’exercice du pouvoir judiciaire, etc.
La principale raison du blocage actuel réside sur la question nord-irlandaise. L’objectif des deux bords est d’éviter la mise en place de barrière physique entre l’Irlande du Nord, l’une des nations constitutive du Royaume-Uni, et la République d’Irlande, membre de l’UE, tout en préservant l’intégrité du Marché Unique et du Royaume-Uni. Ceci, alors que les négociateurs eux-mêmes ignorent quelle sera la future relation UE/UK. Pour y répondre, Theresa May, qui souhaite sortir du Marché Unique et de l’Union douanière et « rétablir les frontières » pour les citoyens européens, a proposé la mise en place d’une zone de libre-échange pour les biens, avec un corpus réglementaire commun calqué sur celui de l’UE. Le 20 septembre dernier, à Salzbourg, les Européens ont officiellement retoqué ce projet, jugeant notamment qu’il ne respectait pas l’indivisibilité des quatre libertés fondamentales de l’UE (libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux). Parallèlement, le gouvernement de Theresa May ne tient aujourd’hui que par le soutien du parti unioniste irlandais, opposé à toute disposition pouvant éloigner Belfast de Londres.
En matière de services, Londres souhaite adopter une approche réglementaire flexible qui conduirait de fait à une forme de « hard Brexit ». Pour les services financiers, Theresa May reconnait que le principe d’autonomie réglementaire et la sortie du Marché Unique impliquent la fin du passeport financier. Afin de ne pas se couper complètement du Continent, elle défend en revanche la mise en place d’un système d’équivalence « amélioré ». Les objectifs de ces équivalences seraient précisés en amont, feraient l’objet de consultation et surtout leur retrait ne pourraient pas être trop brutal ni unilatéral. A ces propositions, Michel Barnier a opposé une fin de non-recevoir : pour le négociateur européen, il est inconcevable qu’un Etat tiers puisse avoir une influence sur l’attribution des équivalences, compétence exclusive de l’Union. Le rôle de la Cour de Justice de l’UE, l’interconnexion entre les biens et les services ainsi que les enjeux de concurrence équitable restent également des points sensibles.
Au-delà de ces négociations, la vie politique britannique confuse laisse quant à elle tous les scénarios ouverts. Si un vote sur un projet de compromis a finalement lieu, le fin mot de l’histoire pourrait alors se décider à la Chambre des communes entre la fronde de certains députés conservateurs et le soutien in extremis de députés pro européens de l’opposition, craignant le saut dans l’inconnu.
Le renouvellement des institutions européennes pris dans des calculs politiques
Le 29 mars n’est qu’une étape dans le marathon politique de l’année prochaine qui pourrait réserver quelques surprises. Si les élections européennes ne se tiendront qu’en mai prochain(*), les grandes manœuvres politiques ont déjà commencé. La tête de liste du Parti populaire européen (PPE), le plus grand parti politique du Parlement européen, doit être nommée dès novembre. Ce scrutin est un moment clé car aujourd’hui, prévaut le principe remis en cause du “Spitzencandidaten”, principe selon lequel la tête de liste du parti majoritaire devient le président de la Commission européenne.
Si les Traités prévoient que le futur chef de l’exécutif bruxellois doit préalablement obtenir l’aval de l’ensemble du Parlement nouvellement élu, le Spitzencandidaten entraine les partis politiques à une course à la taille. Les plus cyniques y voient la principale raison de la présence au PPE du Fidez, le parti politique de Viktor Orban avec la CDU d’Angela Merkel. En effet, nombreux sont les sujets où les deux leaders s’opposent frontalement, que ce soit en matière de politique migratoire ou de l’attachement au libéralisme ou aux principes fondateurs de l’UE.
La Banque Centrale européenne (BCE) fait également l’objet de toutes les attentions puisque Mario Draghi, le président de l’institution, quittera ses fonctions le 31 octobre 2019. Les candidats français les plus sérieux sont Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, et François Villeroy de Gallaud, gouverneur de la Banque de France, mais leur succès dépendra de la nationalité du président de la Commission européenne par un jeu d’influence entre les Etats membres. Ceci alors que le Polonais Donald Tusk, président du Conseil, devra être remplacé le 1er décembre 2019 et que la Française Danielle Nouy aura quitté un an auparavant ses fonctions de présidente du conseil de supervision au sein de la BCE.
Bruxelles bruisse de rumeurs mais l’attention des gouvernements à la distribution des postes clés des institutions semble inversement proportionnelle aux sujets de préoccupations des populations européennes. Il apparaît, au regard de ces derniers mois chaotiques au sein des démocraties occidentales, que l’UE agit comme une loupe sur le fossé qui se creuse entre les populations et leurs élites. L’enjeu est en effet de répondre à la fois aux défis globaux (mondialisation, concurrence des pays émergents, réchauffement climatique, terrorisme international, flux migratoires) et aux attentes « locales » (politiques de l’emploi, éducation, intégration, sécurité). La clé pour les partis politiques résidera dans leur capacité à incarner l’avenir dans un climat anxiogène. Et peut-être, pour les partis pro-européens à s’inspirer des conclusions de Jean-Claude Juncker dans son dernier discours sur l’Etat de l’Union qui rappelait qu’ « Unis, nous Européens, sommes, en tant qu’Union, devenus une force incontournable. […] Celui qui aime l’Europe doit aimer les nations qui la composent, celui qui aime sa nation doit aimer l’Europe. »
Louis-Marie DURAND, EURALIA
25 septembre 2018
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